Est-il nécessaire d'assigner en justice avant l'expiration de la garantie décennale ?
Mise à jour du 04/06/2025
Lorsque l’on est propriétaire d’une maison neuve, il est rassurant de savoir que l’on bénéficie d’une protection légale en cas de désordres graves : c’est le rôle de la garantie décennale.
Cette garantie impose aux constructeurs de réparer les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à l’habitation, et ce pendant 10 ans à compter de la réception des travaux.
Toutefois, cette protection n’est pas illimitée. Passé ce délai de 10 ans, toute action devient en principe impossible, sauf dans certains cas exceptionnels. Se pose alors une question importante pour les propriétaires confrontés à un sinistre : faut-il impérativement saisir la justice avant la fin du délai décennal pour préserver ses droits ?
Forclusion et garantie décennale : distinction avec la prescription en assurance habitation
Les délais d’action attachés aux garanties légales du constructeur (garantie de parfait achèvement, garantie de bon fonctionnement et garantie décennale) sont des délais dits de forclusion.
La notion de forclusion est souvent mal comprise par les maîtres d’ouvrage ou les propriétaires. Elle désigne la perte définitive du droit d’agir en justice. Une fois ce délai écoulé, le droit s’éteint complètement, même si les conditions du recours étaient réunies sur le fond. Par exemple, même si le constructeur et/ou l’assureur reconnaissent que des erreurs ou malfaçons ont été commises et ont entraîné des dommages.
La forclusion ne doit pas être confondue avec la prescription, bien que les deux notions concernent des délais pour agir.
La prescription est un délai plus souple, qui peut être suspendu ou interrompu. En cas d’interruption, le délai repart de zéro (article 2231 du Code civil). En cas de suspension, il reprend là où il s’était arrêté (article 2230).
En matière d'assurance habitation et en dehors des garanties légales de construction, le délai de prescription général est de 2 ans pour l'action de l'assuré contre son assureur. Ce délai commence généralement à courir à partir de la date de l'événement qui donne naissance à l'action.
Cependant, pour les dommages liés aux mouvements de terrain dus à la sécheresse et à la réhydratation des sols (sinistres RGA), ce délai a été allongé à 5 ans par la loi du 28 décembre 2021.
Le délai de forclusion est rigide : il est fixé par la loi et ne peut ni être interrompu ni suspendu, sauf exception prévue par l’article 2241 du Code civil. Celui-ci précise qu’une demande en justice, même en référé, interrompt les délais de prescription et de forclusion.
Cette nuance est capitale pour les propriétaires souhaitant préserver leurs droits dans les délais impartis avant la date anniversaire de la garantie décennale.
Fin de garantie décennale : comment agir avant qu’il ne soit trop tard ?
Si la réception des travaux a lieu le 30 juin 2025, le maître d’ouvrage dispose jusqu’au 30 juin 2035 pour agir sur le fondement de la garantie décennale.
Toute action introduite après cette date serait irrecevable, même si le dommage (fissures, humidité, désordres structurels) est avéré.
La seule véritable exception admise est l’assignation en justice, y compris en référé (par exemple, une demande d’expertise judiciaire).
Cette assignation interrompt le délai de forclusion : un nouveau délai de 10 ans court alors à compter de l’acte interruptif, mais uniquement pour les désordres visés dans l’assignation.
Vers qui se tourner pour défendre ses intérêts ?
En cas de désordres affectant votre maison, il est essentiel de faire appel à un expert bâtiment pour établir une description précise et exhaustive des dommages.
Comme mentionné précédemment, l’assignation en justice doit inclure l’ensemble des désordres constatés. À défaut, vous risquez de ne pas pouvoir les faire couvrir par la garantie décennale. Un expert privé peut vous accompagner dans l’identification, la qualification et la documentation de ces dommages, en établissant un rapport d’expertise détaillé.
Attention : une simple discussion orale ou un courrier non recommandé adressé à l’entrepreneur ne suffit pas à interrompre le délai de forclusion de la garantie décennale. Seuls certains actes juridiques valides, comme une assignation en référé expertise ou une reconnaissance de garantie par l’assureur, ont cet effet. Ces actes permettent d’interrompre le délai et de le faire repartir à zéro. À défaut d’agir dans les formes requises, vous encourez la perte définitive de vos droits.
L’assignation en justice doit impérativement être engagée par un avocat, idéalement spécialisé en droit de la construction ou des assurances. Le rapport d’expertise privée constitue alors un élément essentiel pour l’avocat, notamment dans la préparation du dossier.
Enfin, il est important de rappeler que l’avocat peut être sollicité en amont d’un contentieux, dans une démarche amiable, afin de mettre en place une stratégie de négociation avec le constructeur. Cette approche peut parfois permettre d’obtenir une solution sans passer par une procédure judiciaire lourde et qui allongerait le délai d’indemnisation.